Je suis dans un car rapide, tranquille, occupé sur mon téléphone. A un arrêt, trois gars montent. Mon téléphone signale batterie faible, parce que la 3g ça syphonne la batterie comme pas possible, et que Orange syphonne ton crédit comme pas permis. BREF…
Je lève les yeux ; l’un des mecs, les yeux rouges, les lèvres blanches et fendues par le froid, les mains sales avec des ongles crasseux, s’installe sur le versaille. Les deux autres s’installent sur la transversale en face de moi.
Mon téléphone passe de 15% à 10%, il bip encore. J’en ai marre, je désactive la 3g et le range dans ma poche.
Du coin de l’oeil, je vois le mec sur le versaille placer son sac sur ses genoux, et glisser sa main en dessous. Elle rampe comme une araignée et se pose sur le sac de la jeune fille à côté de lui. Feignant de regarder ailleurs, le malfaiteur que j’ai nommé MADEMBA, tatonne pour trouver la fermeture à l’aveuglette.
Deux minutes passent, la fille ne se rend pas compte. Les doigts de Mademba s’activent, sans trouver la fermeture. Je me demande à quel point on peut dormir les yeux ouverts, je me demande quel désespoir peut mener un homme voler, je me demande si je le tabasse, est ce lui ou moi qui vais aller en prison si la police arrive, je me demande s’il est seul. Je parcours le car et localise les deux personnes montées avec lui.
L’un porte un jean déchiré, une chemise sous un gilet, des vieux souliers cirés, sans doute acheté au marché hebdomadaire du samedi ; il tient un classeur : l’étudiant paumé typique. Le second, son tshirt délavé trop de fois lavé, ses mains… ses ongles, sales et crasseux. Mon esprit connecte, Mademba a un complice : MASSAMBA.
Je regarde, j’analyse, et me je lance. Mon regard croise celui de Mademba, il retire sa main sur le champ. Trop tard, je l’ai vu. J’interpelle la fille.
– fais attention, il a sa main sur ton sac.
– quoi?
-Mademba avait la main sur ton sac.
-J’ai pas compris.
Moi non plus plus je ne comprennais pas ce qu’elle ne comprennait pas.
-J’ai dit que ce gars là essaye d’ouvrir ton sac.
– Hann (le cri de l’âne) D’accord, merci.
Elle serre son sac contre elle.
Mademba me dévisage.
-Comment ça j’ai la main sur son sac?
-Je te ….. ta mère…. sur la table de la cuisine si tu pipes un seul mot de plus.
Mademba ouvre la bouche, hésite. Je retrousse mes manches. Il déglutit et me regarde. Je le regarde. Il me regarde. Je garde un oeil sur Massamba à l’affût… Il nous observe… Mademba se lève, et s’assoit en face de moi, sur l’autre transversale.. Il radote, les mains croisés. Mademba et Massamba sont côte à côte maintenant, je regarde leurs mains, semblables, pleines de cicatrices, leurs chaussures usées et poussièreuses. Plus de doute, ils sont de conivence.
Mademba reprend du poil de la bête, et s’adresse à moi dans son haleine qui pue l’alcool:
– C’est comme ça que vous créez des problèmes aux gens, t’as qu’à m’attraper si je suis un voleur.
Cette phrase sonne à mes oreilles comme déjà entendu, lors d’une précédente intervention, contre un pickpocket que j’avais pris sur le fait.
Je me tais, je le regarde dans les yeux. Il détourne le regard.
Le car accélère sur la vdn, dévale la pente de l’échangeur Seydou Nourou Tall, on arrive à l’université. Tout le monde descend, moi le dernier.
Je suis les acolytes, Mademba se retourne de temps en temps. Il semble être le cerveau de la bande. Il parle à Massamba, sans me prêter attention. Trois cent mètres plus loin, ils s’arrêtent à un arrêt de car. Je comprends qu’ils vont le faire à la pickpocket ; lors des bousculades pour monter dans le car, ou ils vont juste remonter dans un autre car et retenter le coup. Je ne peux pas passer la journée à les guetter, je ne suis pas payé pour ça, et surtout je ne suis pas un justicier. Je n’ai aucune légitimité pour intervenir. Je ne suis qu’un citoyen ordinaire. Pourtant je n’arrive pas à me faire à l’idée d’abandonner.
J’apperçois le véhicule de police stationné devant l’université, occupé à guetter une grève des étudiants pour justifier leur salaire en tabassant des futurs cartouchards en droit. Je traverse la route, et m’adresse aux policiers. Rapidement je leur fais un topo, Un agent prend le soin d’enlever sa chemise, lacer ses bottes, s’étirer, puis en compagnie d’un de ses collègues, me demande de lui montrer où sont les lascars.
De l’autre côté du troittoir, une foule de gens s’apprêtent à monter dans un car. Le policier me demande d’identifier les malfaiteurs. Je les cherche du regard, je ne les vois plus.
-Ah merde, ils sont partis.
-Oh, dommage. Mais merci quand même. Vraiment si les sénégalais faisaient comme toi on pourrait baisser le taux de criminalité. Mais les gens ne nous aident pas, et nous on peut pas être partout.
-Oui mais si en plus les gens meurent sous votre détention, à quel saint se vouer?
-Non, c’est à dire que.
-Non vraiment, moi c’est une polémique dans laquelle je ne veux pas rentrer. J’ai vu cette histoire dans les journaux ce matin, mais ne soyez pas surpris que les gens craignent la police autant que les malfaiteurs. Bref, Je suis en retard à un rendez-vous, mais merci pour votre disponibilité.
-Non merci à toi. Au revoir